A le voir là étendu gracioso sur le canapé de son palace truffé de produits dérivés à son effigie, le visage affublé d'une moue boudeuse, un corps sculpté recouvert d'un slip blanc pour seul vêtement, Diamantino semble s'être autodélogé d'une peinture de Michel-Ange ou, selon les desiderata de chacun, une pub dotée d'un mannequin bien charpenté, et que s'appelerio Emporio Armani.
Proto-Adam et superbe idiot, Tino, de son petit nom, sait surtout tâter du ballon rond. Pour le reste, on ne lui en demandera pas plus. Le footballeur international portugais fend la pelouse comme un pinceau parcourt la toile. Prêt à marquer, il s'imagine pour mieux avancer, au cœur d'un nuage de barbe à papa, escorté d'une armée de chiots pékinois. Si l'on traverse, à l'orée du film Diamantino, la galaxie pour toucher les étoiles, et entendre de loin la clameur qui signe le succès du footballeur, un crash advient, puisque la star échoue en finale de la Coupe du monde.
Sinuosités
Ce délire hallucinogène n'est autre que le résultat d'une alchimie entre deux esprits de cinéastes qui se sont rencontrés il y a maintenant dix ans : le duo luso-américain Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, 34 ans chacun. Après une série d'œuvres courtes projetées dans divers festivals (de la Berlinale à Locarno, en passant par Toronto ou la Biennale de Venise), les voilà avec Diamantino, leur premier long métrage, récompensé à Cannes cette année par le grand prix de la Semaine de la critique.
C’est tout un monde qui dérape là, déséquilibre à la fois chaotique et euphorique. Tino, interprété par Carloto Cotta (que l’on retrouve notamment aux détours des très beaux films de Miguel Gomes et João Pedro Rodriguez), puisqu’il n’a plus rien à faire, se sensibilise à la cause des réfugiés, en adopte un (c’est ce qu’il croit), puis nous entraîne en sa qualité de héros déchu à glisser, comme dans un toboggan aux sinuosités douteuses, dans ce récit foutraque, mash-up fou entre sci-fi, comédie, film de bandits bras cassés.
On y retrouve donc, en désordre et pour désordre, une satire géopolitique, nombre de secrets, une love story aux corps altérés, une pincée de transhumanisme.
Embardées
Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt se risquent à manipuler et empiler, comme autant de cubes aux arêtes coupantes et sur le point de tomber, ces divers sujets que sont la crise migratoire, le capitalisme en roue libre, la montée d'un nationalisme exacerbé. C'est ainsi que les deux cinéastes esquissent leurs personnages d'un trait volontairement grossier et spontané (réellement affectueux) : le héros dadais, les terribles sœurs jumelles (simili-Rachel dans Blade Runner mais en bien, bien plus désagréables), la ministre xénophobe en mode docteur Denfer qui tente de cloner le footballeur pour en faire l'opium du peuple, une jeune espionne infiltrée…
Ça ne fait pas vraiment dans la dentelle, les embardées comiques ou lyriques éblouissent ou abrutissent, mais force est d’admettre que les deux auteurs et savants gamins ont plus d’un tour - de magie - dans leur sac. De leurs séquences aux diverses patines (pellicule 16 mm aux grains affirmés, visions de drones, effets spéciaux sur fond vert), ils forment là un film caméléon, aux peaux multiples : rugueuse, ou rafistolée, douce, bariolée puis éraflée. Les scènes les plus oniriques parées d’effets spéciaux kitsch (une chute dans un lac façon néo-chronophotographie ou une ruée de toutous à poils longs sur gazon) se détachent comme autant d’impressions lenticulaires, le sentiment d’un relief étrange que l’on trouve normalement dans ces cartes qui découpent le mouvement en plusieurs images, selon l’angle depuis lequel on les observe. Tout s’embrase, et s’embrassent follement désirs et mutations confondus, dans cette fresque barjo - aux reliefs et dimensions qui s’accumulent là avec l’envie de nous désorienter totalement, voire de nous désorbiter à tout jamais.