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Libération
Critique

«La Vie comme elle vient», embûches au foyer

Le Brésilien Gustavo Pizzi suit une mère de quatre garçons dont l’aîné s’apprête à quitter le domicile familial, dressant le joli tableau du quotidien chahuté d’une tribu. Où brille l’actrice Karine Teles.
Une dernière virée balnéaire avec la famille au grand complet. (Photo Condor Distribution)
publié le 25 décembre 2018 à 19h46

Dans la Vie comme elle vient (premier film du Brésilien Gustavo Pizzi à sortir en France), il est beaucoup question de maisons. La maison idéale dont la construction stagne, et où le fils aîné, appelé à devenir handballeur professionnel en Allemagne, prétend ne pas avoir besoin de chambre car il ne compte pas revenir. La maison de vacances qu'on ne se résout pas à vendre, reliquat d'une époque heureuse passée à regarder les enfants grandir. Et le foyer en décrépitude, planté dans les hauteurs brumeuses de la périphérie de Rio, dont on colmate les brèches tandis que l'équilibre de la famille s'effrite. Quand la serrure grippée de la porte d'entrée enferme les occupants, on sort par la fenêtre : la ruse est à propos, car le quotidien de cette tribu de petite classe moyenne exige souvent de recourir au système D.

Punching-ball. Le contexte social du Brésil ne bruit qu'en arrière-plan, instillé par petites touches : fatalité de la délocalisation des usines qui rechignent à embaucher, menus arrangements financiers avec la bureaucratie, échelonnement des humilités entre une vieille femme hautaine et son ancienne domestique. L'attention du cinéaste est tout entière portée sur son personnage principal, Irène, mère d'un foyer de quatre enfants, gérant avec la même tendresse dévouée les bobos des petits, le petit commerce informel sur le bord de la route, le divorce d'une sœur servant de punching-ball à un mari violent, et les ambitions déçues d'un époux bonne pâte, nourri aux rêves de succès futurs. Et aux gâteaux qu'il boulotte pendant les fringales nocturnes.

Sérénité. La caméra ne lâche jamais le visage d'Irène, sondant tendrement la moindre contrariété, les yeux embués de désarroi, le ragoût de tristesse et d'appréhension dans son sourire alors que son fils quitte le domicile familial. Le film, qui repose essentiellement sur la justesse de son actrice principale, Karine Teles, se gorge à l'envi de cette dignité souriante, de l'affection que voue le personnage à ses fils et qui, sous le regard du cinéaste (son mari à la ville), a la grandeur mythique de l'amour maternel. Filmée à ras d'émotions et sujette à l'empathie immédiate, la figure menace de se figer en allégorie, mère crucifiée par l'ingratitude de l'enfant qui quitte le nid. Mais Gustavo Pizzi parvient à donner une épaisseur réaliste à cette famille ordinaire, tressant avec habileté les moments banals et effusifs qui unissent les uns aux autres, des repas cacophoniques aux virées balnéaires, avec tout l'arsenal subtil d'humour et de bonheurs doux-amers qu'offre le quotidien. Marqué par une simplicité linéaire, le récit ménage quelques trouées de sérénité dans le chahut ambiant : la mère dérivant sur une bouée au milieu de l'océan, son fils blotti en position fœtale contre elle. La bienveillance du regard cousine peut-être avec le sentimentalisme, mais ce n'est peut-être pas un tort, car la Vie comme elle vient ne se livre à aucun numéro de charme lacrymal excessif, se contentant de diffuser une émotivité délicate et contagieuse. Un drame du quotidien très tendre, pas davantage, mais qui ne se rêve rien d'autre.