Il est intéressant de se pencher sur la filmographie d'Omar Sy du strict point de vue de la production afin de mesurer à quel point avec le succès d'Intouchables, il est devenu moins un enjeu artistique qu'une cash machine attirant sur son seul nom assez de financement pour que plus personne ne se soucie de la viabilité des films ainsi échafaudés pour lui. Pour avoir un ordre d'idée du changement d'échelle économique dont il est le vecteur, il suffit de comparer le budget de production d'Intouchables (9 millions d'euros) et le nombre d'entrées que le film de Nakache et Toledano a engrangé (19 millions de spectateurs). Or désormais, tous les films avec Omar Sy voient leur facture de production exploser : Demain tout commence (17,5 millions d'euros), Knock (12,6 millions), le Flic de Belleville (15,7 millions). Avec des résulats pour le moins variables au box-office puisque Knock et le Flic de Belleville pointaient très en deçà des performances attendues pour des produits aussi coûteux (l'un et l'autre autour de 500 000 entrées).
Chèvres
Pourquoi cette longue intro pour parler de Yao ? Parce que c'est le premier film où la star française, installée à Los Angeles, endosse la casquette de coproducteur et que le film, tourné au Sénégal et clairement constellé de références autobiographiques, se présente comme une méditation existentielle sur le risque de vanité hors-sol qui menace l'acteur surexposé et pour l'heure voué au seul créneau du mainstream (avec quelques tentatives timides côté Hollywood).
A peine masqué sous le personnage d’un acteur célèbre, Seydou Tall, ayant en plus de sa notoriété cinéma fait un best-seller en racontant sa vie, Sy débarque à Dakar et rencontre Yao, un gamin dégourdi ayant échappé à la surveillance villageoise et à son père pour se faire signer un autographe sur son exemplaire à moitié bouffé par les chèvres et recousu main. C’est la confrontation de l’adulte nanti, que l’on voit au début dans un ahurissant loft à piscine avec vue sur tout Paris, et du bon petit gars lumpen dans un pays émergent.
Challenger
Sy est comme confit dans l'humilité du «bounty» délocalisé dans «le pays de ses ancêtres» et une sorte de maladresse passe-muraille laissant son comparse Louis Basse, 13 ans, lui voler la vedette avec ses airs d'un possible Antoine Doinel sénégalais, hélas empêchés par la fadeur du road-movie humaniste et le besoin de tout transformer en chromos.
Le jeune acteur a fait un carton en passant en promo dans l'émission Quotidien. Interrogé sur ce qu'il pensait de la carrière d'Omar Sy, il a répondu : «Bof.» Au cœur même du réalisme filtré aux bons sentiments de l'agréable Yao, subsiste donc le spectre d'un autre film beaucoup plus drôle et enthousiasmant où l'enfant endosserait vraiment son rôle de challenger insolent et iconoclaste d'une vedette qui prend bien trop au sérieux son désir d'être l'ami raisonnable, le grand frère tempéré ou le bon père sentencieux et protecteur dès que l'occasion se présente.