Peut-on être à la fois visible et invisible ? Peut-on être encore autre chose ? Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic ont l'habitude de se poser de bonnes questions, et pas seulement de bonnes questions de cinéma. Après Dancing et l'Autre, leur troisième long métrage s'inscrit dans la veine de fantastique social qui leur est propre au sein du cinéma français, et qui allie un sens distancié de la description des vies quotidiennes à des intuitions inquiétantes sur les forces qui s'agitent dans les sous-sols de notre monde virtuel.
L'Angle mort est à la fois une folle histoire d'homme invisible et l'histoire d'un homme ordinaire, en une seule et même personne, avec un nom et un prénom. Dominick Brassan (Jean-Christophe Folly) a la faculté de se rendre invisible depuis l'enfance, et continue, adulte, de ne pas faire grand-chose de ce don, devenu moins maniable avec l'âge. Car tout passe par le corps chez ce couple de cinéastes, y compris le plus incorporel des pouvoirs, destiné à décliner avec le temps. Et ce corps a aussi un travail, dans un magasin de guitares, une famille, de musiciens, une copine, blanche, une voisine, mystérieuse, un ami d'enfance, qui aurait mieux fait d'y rester, tout ce qui fait une vie, un scénario ou un film. Tout ce qui fait des problèmes, quand notre homme, qui aime apparaître et disparaître, n'aspire qu'à ce qu'on foute la paix à ses allées et venues.
L'Angle mort est un film gonflé. Il joue beaucoup avec ses bonnes questions, leur laisse le temps de jouer entre elles tout en continuant son histoire. En effet, Dominick est noir, une manière comme une autre d'avoir un corps, sinon que cette chose étrange qu'on appelle le regard de la société a le don d'y voir autre chose, ou bien de n'y voir que cela. Etre à la fois visible et invisible, ce qui est donné à tout le monde, est aussi une ubiquité octroyée en particulier aux Noirs, sous la forme d'une double violence. Et pouvoir être encore autre chose, c'est tout ce que Dominick désire, au lieu de se torturer à savoir s'il est l'un ou l'autre. Questions de cinéma que le film résout à sa manière, tantôt fable, tantôt récit, s'attachant à explorer la zone d'ombre qui lui donne son titre : aller voir ce que les caméras laissent en général de côté.