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Libération

«Le Bel Été» Pierre Creton, «Tremor Iê» Elena Meirelles et Lívia de Paiva, «Príncipe de paz» Clemente Castor

publié le 16 juillet 2019 à 18h16

Príncipe de Paz - «prince de la paix», l'un des noms de Jésus dans la religion musulmane - vient aussi s'apposer comme titre à l'incroyable premier long métrage du cinéaste mexicain Clemente Castor. Daniel et quelques autres adolescents anémiés errent, tels de lents feux follets de désirs dans la banlieue Est de Mexico, même si le film ne souhaite pas nous dire exactement où, si ce n'est entre cet hybride parc-décharge et une ville comme éternellement lovée dans un crépuscule bleu-gris. Ils tombent sur un énigmatique squelette géant.

Entre les plans de l’épiderme duveteux des gamins et les rushs d’une VHS avec stries, nous voici plongé dans un film dormant, un monde-limbe où sont échangés mots d’amour et discussions plus banales. On pense parfois à Gus Van Sant qui aurait croisé le chemin de Hou Hsiao-hsien.

Libres entre les végétaux, les figures semblent en même temps condamnées à l'enfermement de leur propre enveloppe charnelle et à souffrir de migraines. Pourtant : «A chaque fois que je te vois, c'est comme si mon corps n'avait pas d'organe», prononce Daniel à celle qu'il aime - une référence directe au poète français Antonin Artaud et son «corps atomique» - car c'est là, énergie incontrôlable, que s'échappent les ados, dans leur capacité à rêver et à transcender leur présence dans l'écrin de cet espace abandonné, êtres définitivement petits, esprits infiniment grands.

Nous sommes au Brésil, dans une ville de Fortaleza quasi déserte. Cité dominée par le son des hélicoptères, les slogans totalitaires crachés par des haut-parleurs et la présence de policiers portant d'étranges costumes blancs, simili-escrimeurs. Janaína s'est échappée de prison et file sur sa moto sur fond de rap brésilien, elle dénonce «une société sexiste et construite sur le sang des Noirs». Dédié à trois femmes noires assassinées de manière violente, Mary Lucia Mesquita, Marielle Franco et Luana Barbosa do Reis, le long métrage Tremor Iê ressemblerait totalement à un film d'anticipation s'il ne faisait pas autant écho aux discriminations faisant rage avant et pendant le régime de Bolsonaro. Ecrit en 2017 par un collectif de femmes en résistance, voisines, actrices, réalisatrices, musiciennes, Tremor Iê forme un espace de récits (inspirés de violences réellement perpétrées) prononcés à voix hautes par des femmes noires allongées ou à vélo, que retrouve Janaína - «je me souviens du jour où ils l'ont coffrée» comme un début de refrain.

Aucune violence retranscrite ostensiblement, celle-ci sourd dans les moindres tremblements d’une ombre de main près du feu, les souvenirs évoqués ou cette cuillère qui contre un arbre produit un son étrange de percussion. La violence indicible colle à la peau de ces corps qui n’oublient pas et se préparent - tambours battants - pour la riposte.

«Je voudrais que l'amour nous protège chacun, des uns des autres aussi.» Cette phrase, en queue de comète du nouveau long métrage du Français Pierre Creton, définitivement nous cueille. Il est un peu différent de tout ce que nous avons annoncé jusque-là, mais nous l'attendions si impatiemment - le film, le cinéaste, comme la phrase -, ce Bel Eté, écrit à trois comme son précédent (Va Toto !) avec Vincent Barré et Mathilde Girard. Le bel été, c'est celui, réel, de Nessim (réfugié du Soudan), puis plus tard des jeunes Mohamed et Wally (Guinée et Mali) qui sont accueillis en Normandie par le couple Simon et Robert, ainsi que leur amie Sophie. Porté par les histoires communes de leurs auteurs, la musique des Limiñanas et la voix off de Sophie Lebel, le long métrage dépeint un quotidien fait de cueillettes, travaux dans les champs, démarches administratives pour accueillir ces personnes qui ont traversé la Méditerranée (et qui ont vu d'autres, parfois proches amis, y mourir). «En partant de ce sujet tragique, je voulais faire un film lumineux» et c'est exactement ce qui arrive, avec cette façon sensuelle, désintéressée, qu'a le cinéaste (toujours) de saisir avec minutie le quotidien de la petite assemblée où circulent échanges de paroles et libres désirs. La mer, sombre symbole du danger, redevient progressivement, avec l'écume des rires partagés, un refuge bleu pour se laisser vivre et porter.

Sortie nationale le 13 novembre.