En présentant Give Me Liberty à Cannes, Kirill Mikhanovsky, saisi par l'émotion de dévoiler son deuxième long métrage à la Quinzaine des réalisateurs, semblait incapable de s'arrêter de parler. Et les turbulences qui venaient perturber la longue allocution foutraque du Russo-Américain, comme cramponné au micro, annonçaient déjà au public l'exubérance du film à venir, lancé à toute allure sur les routes lardées de nids de poule du Midwest américain, sans égard pour les spectateurs sujets au mal des transports. Give Me Liberty s'arrime au quotidien de Vic, dont le job consiste à conduire un van de personnes handicapées à travers les banlieues croupissantes de Milwaukee (Wisconsin). Forcément, dans ce programme de «feel good indé» tape-à-l'œil se dessine un horizon un brin édifiant : la force morale de ceux qui composent ce convoi de gueules cassées (tétras, handicapés mentaux et autres inadaptés) s'affirme dès les premiers plans, tout comme l'admirable abnégation de leur chauffeur (Chris Galust, même gueule d'ange qu'un River Phoenix). Mais ce que Mikhanovsky aime filmer, c'est la cacophonie : de langues, de voix, de situations. Contraint de bousculer son emploi du temps pour escorter son grand-père, atteint d'Alzheimer, à un enterrement, Vic se retrouve flanqué d'un encombrant pique-assiette et d'un peloton d'aïeules russes aussi sonores qu'un chœur de l'Armée rouge, au grand dam de Tracy, une de ses passagères («Lolo» Spencer, princesse guerrière en fauteuil roulant, munie d'une épée et d'une iroquoise afro). C'est dans cette fanfare discordante que s'installe le charme du film, dont le régime expansif et débordant, qui procède par empilement des aléas burlesques, donne l'impression de voir Mikhanovsky s'efforcer de dompter le chaos en même temps que son protagoniste.
Rejeton tonitruant de Good Time des frères Safdie dans ce qu'il montre de la lose de marginaux en milieu urbain, Give Me Liberty fait rimer son titre étendard avec le désir qui dévore les personnages de s'extraire de la servitude qui les enchaîne, notamment à leurs clans respectifs. En brassant l'âpreté naturaliste d'un regard documentaire sur le handicap, la trivialité du récit picaresque et les ressorts du drame social - qui culmine dans une déconcertante scène d'émeute urbaine en noir et blanc -, Mikhanovsky emboutit beaucoup de registres et ne lésine pas sur les passages en force, mais ricoche parfois, et pas que par inadvertance, sur de vrais moments de délicatesse prélevés à l'anarchie.