On l'a dit et répété : Batman ne sait pas voler ! Le tailleur pour dames Franz Reichelt aurait dû être prévenu, lui qui, en 1912, a tenté de prendre son envol du premier étage de la tour Eiffel dans un costume de chauve-souris-parachute cousu par ses soins. Un film Pathé documente ce saut de l'ange qui finit mal, 57 mètres plus bas, avec un impact physique du corps démantibulé de 20 cm de profondeur. Le burlesque équilibriste du cinéma, pionnier, traduit l'étroite relation de ce nouveau médium avec la sensation d'apesanteur car, pour la première fois, loin du théâtre et du cirque, les spectateurs sont confrontés à l'antimatière de la projection et au trompe-l'œil de l'écran qui leur permet de voler au-dessus des mondes et de tomber de haut quand les lumières se rallument. La rêverie du corps sans gravité inonde l'imaginaire enfantin depuis le tapis volant des Mille et Une Nuits jusqu'au gamin décollant à vélo dans la scène de fuite d'E.T., en passant par les loopings de Peter Pan et le parapluie aéroplane de Mary Poppins.
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La série d'animation américaine les Jetsons,diffusée au début des années 60, décrit la vie futuriste d'une famille de la classe moyenne qui se déplace à bord d'une mini-soucoupe volante domestique. L'anticipation de la modernité heureuse suppose que l'on se libère du sol commun et des routes banales afin de tendre vers un nouvel état gazeux jugé alors désirable avant que l'on ne découvre que même là-haut, l'air est irrespirable et le trafic encombré comme dans un ciel aux heures de pointe.
Celui qui fixe durablement l'imagerie ténébreuse du vieux désir aérien devenu cauchemar dystopique, c'est évidemment Ridley Scott dans son chef-d'œuvre Blade Runner en 1982. Le génial designer industriel Syd Mead - qui travaillera sur Tron, Alien, Mission to Mars… - élabore le style de la voiture de patrouille dit «Spinner» du héros Rick Deckard (Harrison Ford), à la fois véhicule terrien et volant conçu d'après le profil d'une Volkswagen. Mead, interrogé par Libé en 2011, affirmait : «Le mode de transport est toujours la clé culturelle et technologique d'une époque.» L'image d'ouverture du film avec son ciel nocturne illuminé par des écrans vidéo de la taille de gratte-ciel et le ballet hypnotique des véhicules de surveillance au-dessus d'une mégapole perpétuellement embrumée et rincée de pluies suffocantes reste l'insurpassable icône matricielle d'un avenir promis au crépuscule humain et écologique.
Luc Besson, quinze ans plus tard, reprend l'idée pour son Cinquième Element qui figure la généralisation d'un transport citadin en auto-plane dans un espace urbain socialement stratifié et saturé comme au bon vieux temps des embouteillages new-yorkais des films noirs des années 70. En 2002, nouvelle adaptation d'un roman de Philip K. Dick, comme l'était Blade Runner, Steven Spielberg signe Minority Report où l'on découvre des patrouilles de police se déplaçant grâce à des moteurs à propulsions portés sur le dos. La vision sidérante de Franky Zapata sur son flyboard filant à vive allure au-dessus du défilé militaire du 14 Juillet semblait une citation d'une séquence Marvel entre Iron Man et le Surfer d'argent. La bagnole ailée est remisée à la casse ou du moins ne se renouvelle plus vraiment alors même que pointent, aussi bien du côté du clergyman supersonique Thomas A. Anderson (Keanu Reeves) dans la saga Matrix des sœurs Wachowski que des ados icariens du Chronicle de Josh Trank, l'espoir d'une autonomie antigravitationnelle faisant la jonction entre bottes de sept lieues du conte et prototypes du transhumanisme tels que dessinés par l'agité du bocal Elon Musk (SpaceX, Tesla) qui, par ailleurs, s'identifie à Tony Stark, alias Iron Man.