Après avoir vu nombre de mâles alpha hollywoodiens - entre autres Matt Damon dans Seul sur Mars, Ryan Gosling dans First Man ou Brad Pitt dans Ad Astra - envoyés dans l’espace (il est vrai en mode dépressifs et solitaires), l’idée d’un film comme Proxima avec une héroïne astronaute est aussi excitante et rarissime qu’une éclipse. Le troisième film d’Alice Winocour met ainsi en scène Sarah (Eva Green), fraîchement sélectionnée pour partir en mission spatiale avec un équipage masculin et confrontée à la perspective de ne plus voir sa petite fille (Zélie Boulant-Lemesle) pendant un an.
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Capsule
Les mots «charge mentale» sont lâchés et Winocour renoue avec les portraits cliniques de tumulte intérieur de ses précédentes réalisations (Soko hystérique, aux balbutiements de la psychanalyse dans Augustine en 2012, Matthias Schoenaerts sous syndrome post-traumatique dans Maryland en 2015) dans un cadre idéal : on évacue l'imagerie à l'américaine de la conquête spatiale, avec ses relents impérialistes, pour vivre dans le quotidien bleu-gris de l'Agence spatiale européenne et la grisaille post-soviétique de Baïkonour. On voit ici moins les étoiles que les centrifugeuses, les entraînements sous l'eau que les entretiens psychologiques. Il n'y a qu'à voir le contraste entre, par exemple, Sandra Bullock sortant survivante, renaissante et victorieuse de sa capsule spatiale de retour sur Terre à la fin de Gravity (2013), et la trivialité discrètement triomphante d'Eva Green répétant tranquillement la même figure imposée dans Proxima («c'est elle qui est sortie en premier», s'exclame, surprise, sa fille assistant à la scène).
En termes d'imagerie maternelle, Gravity était le film d'accouchement grandiloquent (Bullock femme fœtale, accrochée désespérément à son câble ombilical pour mieux le rompre) tandis que Proxima est l'austère échographie déceptive, la préparation prénatale transie et anxieuse. C'est la plus belle idée du film, davantage que la classique lutte pour faire ses preuves et s'imposer auprès des machos (dont Matt Dillon, en coéquipier américain comme on percevait les Yankees dans les europuddings des années 60).
Cosmos
L’insoluble distance entre Sarah et sa fille, au prénom forcément céleste (Stella), devient aussi grande dans une même pièce que de la Terre à la Lune, entre les absences et les craintes légitimes de chacune de perdre l’autre. Les vitres sirkiennes qui les séparent, l’isolement hygiénique auquel doit souscrire Sarah à l’orée du départ, l’hypersensibilité et précocité de Stella : le mélodrame pointe sous la reconstitution hyper documentée (avec notamment une apparition de l’astronaute star Thomas Pesquet) et se lâche heureusement. L’autre belle idée est celle d’un autre retour sur Terre, celui d’Eva Green comme actrice. En danger d’être cantonnée aux rôles de diva éthérée rétro-gothique outre-Atlantique, la voici sans filet dans son meilleur rôle depuis longtemps : les grands yeux d’Eva-Sarah, taillés pour contempler le cosmos, sont poussés à l’introspection ; son professionnalisme glacé fond sous l’émotion.