Les polémiques ayant bousculé la sortie de J’accuse de Roman Polanski n’auront donc pas eu raison de sa popularité auprès de l’Académie des césars. Plébiscité par les 4 700 membres de la profession chargés de distinguer par leurs votes le nectar du cinéma français paru dans l’année, le film trône sur le podium des nominations de cette 45e édition, et son cinéaste, indéfectiblement, au sommet de la chaîne alimentaire du cinéma tricolore. Cité dans douze catégories, le drame historique consacré à l’affaire Dreyfus part ainsi favori de la compétition, au coude à coude avec le brûlot de Ladj Ly les Misérables, grand succès pirate de 2019 – le film ayant franchi la barre des 2 millions d’entrées se trouve notamment candidat au césar du public qui récompensera l’un des cinq plus gros cartons au box-office. En lice pour onze récompenses, le bonbon nostalgique et indigeste de Nicolas Bedos la Belle Epoque s’affirme comme l’un des autres grands favoris de la soirée, tandis que le beau Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma apparaît cité dans dix catégories.
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Cela n'aura échappé à personne au Fouquet's, où se tenait ce mercredi l'annonce des nominations des césars dans une ambiance à couper au couteau : cela sent le roussi, cette année. Et si l'incendie venait effectivement à se déclarer, les dernières semaines auront permis d'identifier plusieurs foyers.
Une institution qui fleure bon la naphtaline
Première étincelle : le dîner des Révélations, lundi 13 janvier. Visé par un communiqué pamphlétaire de la Société des réalisateurs de films (SRF) remettant en cause les «agissements opaques et discriminatoires» de l'Académie des césars, son président depuis plus de quinze ans Alain Terzian mangeait sa soupe à la grimace, étrillé par les remarques hostiles de divers convives. L'incident diplomatique trouvait son origine dans la mise à l'écart de Virginie Despentes et de Claire Denis, éconduites par l'académie sans plus d'explications alors que les acteurs Jean-Christophe Folly et Amadou Mbow (alors candidats au titre du césar du meilleur espoir masculin) avaient respectivement souhaité en faire leurs «marraines» pour la soirée.
L'occasion pour la SRF d'en découdre plus généralement avec la gestion de l'académie, jugée opaque à plusieurs niveaux. Branle-bas de combat communicationnel les jours suivants : communiqué d'excuses, interviews d'Alain Terzian pour le Film français et le Figaro, où le producteur sur la défensive se dit prêt à lever le rideau sur les pratiques de sa maison. «Sans doute avons-nous manqué, peut-être, d'écoute, déclare-t-il. Il y a probablement des choses à corriger. Je suis là pour recueillir toutes les idées. Si quelqu'un veut tout renverser, qu'il crée une autre manifestation.»
En 2017, pétitions et appels au boycott
«L'Académie n'est pas une instance qui doit avoir des positions morales», a-t-il toutefois ajouté en guise de dérobade préventive. Au cas où quiconque se laisserait tenter à mentionner les récentes accusations pour viol à l'endroit de Roman Polanski, qui avaient entraîné dans leur sillage divers blocages et annulations de projections sous l'impulsion de collectifs féministes sans bannière. C'était il y a moins de trois mois. En 2017, le président de l'Académie s'était déjà trouvé au cœur de la tourmente en choisissant Roman Polanski comme président de la 42e cérémonie des césars. Ce dernier s'était rétracté sous l'effet groupé de pétitions et d'appels au boycott de la cérémonie.
Plébiscite corporatiste pour du cinéma à vedettes
Mais cela ne suffirait sûrement pas à dépoussiérer l'image d'une grand-messe enfoncée dans ses pantoufles, échouant toujours à refléter la vitalité du cinéma français comme en témoigne cette année l'absence notable de films tels que Synonymes de Nadav Lapid (ours d'or à Berlin), Sibyl de Justine Triet, Une fille facile de Rebecca Zlotowski, le Daim de Quentin Dupieux ou encore les premiers films Tu mérites un amour de Hafsia Herzi et Perdrix de Erwan Le Duc…
Une fois de plus, la photographie des meilleurs films de l’année offerte par les nominations des césars trahit un plébiscite corporatiste pour du cinéma à vedettes bien financé, un genre d’idéal mainstream local peu représentatif de l’extrême diversité des productions françaises. Présentée par Florence Foresti, la 45e cérémonie des césars se tiendra le 28 février à la salle Pleyel, sous la baguette de la présidente de cérémonie Sandrine Kiberlain.