Menu
Libération
Critique

Hollywood, pas un boulevard pour les femmes

«Tout peut changer», documentaire frontal de Tom Donahue, illustre les discriminations de genre au sein de l’usine à rêves avec force chiffres et témoignages.
L'actrice américaine Geena Davis (ici le 9 février à Hollywood) a produit le documentaire. (Photo Amy Sussman. AFP)
publié le 18 février 2020 à 18h46

Quand il s'agit d'égalité hommes-femmes, on pourra bien penser ce que l'on veut du goût de Hollywood et de son gotha d'obédience démocrate pour le militantisme prêchi-prêcha. A son meilleur, le docu produit par Geena Davis (à jamais la flingueuse dure à cuire de Thelma et Louise, mais aussi fondatrice d'un institut statistique sur les disparités de genre dans les médias) nous rappelle qu'on aurait du mal à trouver volontarisme plus frontal en la matière. Fût-il de nature à blesser les convictions en vigueur au pays de l'exception culturelle.

On y apprend notamment que dans les années 80 (!), un collectif de six réalisatrices, victimes excédées du chômage, se piquait d'attaquer en justice les majors pour discrimination au travail, et faisait de la parité dans le cinéma un enjeu de lutte pour les libertés civiles. (Cela sent le projet de biopic à plein nez, ou on ne s'y connaît pas.) On n'ôtera pas non plus aux Américains leur savoir-faire en termes de didactisme documentaire et d'étalage de conviction hypercommunicative : panel d'héroïnes éloquentes (de Meryl Streep à Cate Blanchett, en passant par l'activiste Tarana Burke à l'origine de #MeToo, entre autres figures plus anonymes), prises de parole passées au hachoir pour n'en garder que les punchlines, sens de la démonstration allègre qui fait s'emballer l'adhésion, musique dans tous les coins. Partant de l'aval - la représentation des femmes dans les films -, Tout peut changer commence par compulser les mythes genrés du cinéma américain, avant de remonter à tire-d'aile sur l'amont de la fabrication. Qui trop embrasse mal étreint, se dit-on hélas lorsque des chemins de traverse discursifs finissent par amalgamer tous les symptômes de discriminations dans une même mixture d'indignation, où les exactions de Harvey Weinstein côtoient la question des quotas de scénaristes et les sorties graveleuses de Donald Trump.

Il n’empêche que l’objectivation des inégalités par les chiffres donne une force imparable au film, par ailleurs marqué par deux parti pris : le combat se situe sur le plan de l’action légale, et le cinéma, défroqué de l’aura d’œuvre chère à nos contrées, s’appréhende seulement comme objet de communication de masse, un vecteur de messages susceptibles d’informer durablement les psychés - la force de frappe de l’usine à rêves implique ainsi de grandes responsabilités. De quoi se souhaiter davantage de complexité que ce que le film présente du débat sous un jour limpide et univoque, mais aussi faire s’étrangler un peu plus les contre-révolutionnaires qui ont tôt fait de voir dans le mouvement de redistribution des pouvoirs entamé l’avènement d’une dictature féministe. Tant pis pour eux.