Pittoresque et pacotille, quand le cinéma français se pique de poésie coloriée. En 1984, Splash avec Daryl Hannah et Tom Hanks avait proposé l'adaptation libre, sans façon et accomplie, de la Petite Sirène. C'était le premier film produit par la Touchstone, succursale de Disney dédiée aux comédies familiales, plus adultes et en «live action», d'où sortirent une flopée de précieux films dans l'ombre de la major. L'idée du film de l'homme-orchestre Mathias Malzieu (leader du groupe Dionysos, écrivain passé à la réalisation en s'adaptant lui-même dans l'animé Jack et la mécanique du cœur, avant cette bévue analogique doublée d'une débâcle industrielle en salles ce mercredi), son initiative séduisante a priori aurait pu consister à rendre à Andersen ce que Disney lui avait piqué, affadi.
Crooner
Sur la Seine coule la pluie arrosée du décor, les flonflons d'une péniche-cabaret résonnent, dirigée par un père veuf (Tchéky Karyo) et son fils (Nicolas Duvauchelle), chanteur au cœur brisé, immunisé de l'amour, jusqu'au jour où il recueille une sirène naufragée sur les quais, blessée de bleus à la queue. Réinventer le célèbre conte, avoir de quoi s'offrir des vues de la tour Eiffel illuminée, tout rendre au merveilleux, à la féerie sincère, au fabuleux, et patatras : passer tout le film en cale sèche d'une baignoire où le récit croupit ; tout saloper au nom d'une poésie régressive de petit garçon qui a cassé sa tirelire (comme Gaspard, notre crooner rétro échoué, en fait la remarque). Sacrifier à la tradition de toc à la française, dont la ligne molle s'étire de l'univers de Jeunet aux meilleurs clips de la décennie 80 - de Daho aux Rita Mitsouko. Sauf qu'il s'agit d'un film, pas d'un scopitone, sans presque de chansons, et cet abandon de la comédie musicale précipite le film dans un désastre irrévocable. Ça aurait pu être du bon Mordillat, quand il lui prenait de faire du proto-BD-punk, époque Billy Ze Kick : quitte à faire toc, opter pour le travestissement déjanté et le film oulipien non frelaté, mais là, Une sirène… glisse dans une grande flaque de sirop.
Nubile
A propos de flaque, on s'inquiète presque pour la sirène, Marilyn Lima (lire Libération de lundi) à qui il a fallu tenir, clouée tout le tournage, des semaines, dans une baignoire. Femme immobilisée, trimbalée comme un meuble, dont le petit garçon devenu grand prince charmant, fleur bleue, tout en sentiments timides, fait malgré tout sa chose, de A à Z, sa femme-objet à qui jamais le film ne pense à laisser l'expérience d'avoir des jambes et cette douleur intolérable (comme de marcher sur des couteaux) de l'amour, de l'humanité et du conte cauchemardesque d'Andersen dans ce qu'il montre aux filles l'horreur de leur condition future, féminine et nubile. On retiendra la toute fin lâchée, son côté nanar qui s'assume, en partie grâce à Rossy de Palma qui sait prendre congé d'un film en commedia dell'arte aparté. Film sans lune, à marée basse. On a beau être touche-à-tout, cela ne fait pas de nous un être à tout doué.