Il y a quelques beautés évidentes dans l'Apiculteur de Théo Angelopoulos. La plus luxueuse, au sens où elle se fait rare ces temps derniers, concerne l'espace-temps du film. Angelopoulos prend le temps qu'il faut pour raconter son histoire et tout l'espace nécessaire pour la dérouler. Le temps qu'il faut pour descendre du Nord au Sud de la Grèce. L'espace qui va, en suivant la route des floraisons, des montagnes enneigées au littoral caniculaire. Un temps compté à rebours, ankylosé, plus saisonnier que journalier. Un espace léthargique, abstrait, doucement métaphorique, qui retourne la carte du tourisme ordinaire et découvre l'itinéraire-bis d'une Grèce inédite, austère et cafardeuse, un désert caillouteux, à peine habité d'hôtels calamiteux et de fantômes neurasthéniques.
Ankylose et léthargie qui ne sont pas un effet de style provocateur mais les conditions nécessaires et suffisantes pour démontrer le théorème de l'amour à mort. Entre Spyros, l'apiculteur taciturne, quinquagénaire, fatigué, misanthrope dordre général, et une jeune auto-stoppeuse sans toit ni loi qui à force de s'incruster dans la camionnette de Spyros va finir par coloniser toute sa vie, aussi obstinée à brûler sa flamme par tous les bouts que Spyros met d'énergie à étouffer doucement la sienne.
Fleuve de glace contre marée d'eau brûlante, à la confluence de ces eaux troubles, on peut observer de nombreux tourbillons passionnels : l'acte d'amour violent et violé entre Spyros et son ancienne épouse,