La scène la plus ancrée du magnifiquement désaxé Abou Leila est celle d'un meurtre, à l'ouverture du film. C'est la seule, bizarrement, à avoir un semblant de qualité quotidienne - un petit matin dans une rue d'Alger, en 1994, au cœur de la décennie noire de la guerre civile. Un avocat sort de chez lui pour se rendre à son cabinet, sa femme en peignoir tente de le retenir, un camion d'éboueur passe. Jetés au cœur d'un plan-séquence virtuose, nous notons ces détails banals en empruntant le point de vue d'un terroriste mal assuré qui doit descendre l'avocat : il s'approche, hésite, se cache et finalement se décide. La terreur bondit d'un personnage à l'autre, circule et s'agrippe à nous, s'insinuant jusque dans la voiture de flics qui patrouillent dans le quartier et déboulent là par hasard. Si la suite d'Abou Leila nous entraînera très loin de cette rue, vers le désert du Sud algérien, où l'on peinera d'abord à voir ce qui unit les deux lieux, la même terreur sourde et hébétée habitera chacun de ses instants et chacun de ses personnages.
Premier long métrage d'Amin Sidi-Boumédiène, ce film fiévreux est marqué, selon le cinéaste, par l'adolescent qu'il fut durant les années de la guerre civile, «ayant accumulé beaucoup de peur et de mélancolie en lui à cause de cette période». Le film garde les stigmates de ces frayeurs et de cette enfance - comme les enfants et les fous, il confond souvent le réel et les songes. Trip hypnotique, road-movie métaphysiq