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Libération
Critique

«Sapphire Crystal», Genève doré

Auréolé du grand prix du festival de Pantin, le film, qui sort aussi en VOD et DVD, marque le retour de Virgil Vernier à la forme courte.
Une plongée chez les ultrariches de la cité de Calvin. (Photo Shellac)
publié le 14 juillet 2020 à 18h11

A l'aveuglant coucher de soleil, point extrême d'une Côte d'Azur en déliquescence, qui clôturait Sophia Antipolis (2018) répond l'obscurité de Sapphire Crystal (tout juste auréolé du grand prix du festival de Pantin). Cette preste étude de mœurs examine les habitudes nocturnes d'une poignée de jeunes Genevois friqués occupés à «faire la fête». Si celle-ci est constamment vantée dans les discours de la bande, elle est très peu donnée à sentir, puisque ce qui intéresse Vernier au premier chef, c'est justement cette parole par laquelle ils sont traversés et qui les situe, consciemment ou à leur corps défendant. Avec toujours ce procédé de mise en scène ambigu, où les protagonistes rejouent devant la caméra la version d'eux-mêmes qui intéresse le cinéaste, Virgil Vernier creuse son obsession pour les attitudes, les postures, les masques et les chorégraphies de classe : chez les ultra-riches de Genève, un parler faussement banlieusard pour certains («Wesh !»), une hauteur de ton pour les plus distingués, un petit air revenu de tout contredit par des envolées naïves sur la réussite sociale. Du décor glauquissime de leur boîte de nuit de prédilection à la villa non moins glauque de l'un d'entre eux coulent le champagne, les souvenirs («Je me souviens… La piscine à Saint-Tropez») et une certaine lassitude déjà, chez ces moins de 20 ans enfoncés dans le profond canapé des parents.

On peut regretter que le film soit trop expéditif pour véritablement dessiner des personnages et les confronter à quelque chose de plus grand et ancien qu'eux (dans Orléans, en 2012, la figure de Jeanne d'Arc ; dans Mercuriales, en 2014, la mythologie slave), et lorsqu'on aperçoit quatre statues calvinistes au coin d'une rue, symboles de la rigueur helvétique, confrontées à la gabegie des ados, le film se termine déjà. N'empêche qu'il se dégage de ce Sapphire Crystal une fragrance de caveau bien particulière, qui confirme Vernier à la fois comme cinéaste ultra-contemporain et comme archéologue revenu du futur pour exhumer les vestiges déjà froids de notre monde. Ce qui rend le film très mélancolique, c'est que de cette fouille il revient avec les joyaux tout à la fois les plus scintillants et les plus creux. Sous la poussière du strass, le silence et le noir.