La presse a fait état ce mercredi matin d'une enquête préliminaire du Parquet national financier en lien avec un forum organisé par Libération au Gabon en 2015. La co-gérance de Libération qui coopère pleinement avec la justice tient à apporter en toute transparence son éclairage sur cette opération.
Pendant l'été 2015, émerge le projet de tenir un Forum Libération à Libreville. Un responsable gabonais, qui avait assisté à Rennes à l'un des nombreux forums organisés par Libé à partir de 2007 en France, souhaite qu'une réunion du même type soit montée dans son pays. Un forum au Gabon ? La direction de la rédaction n'est de prime abord pas favorable à cette idée, compte tenu de la nature du régime gabonais.
L’idée émerge alors, si la réunion se passe bien et correspond aux normes du journal, que c’est peut-être une bonne occasion de développer cette activité en Afrique, aux même conditions qu’en France, comme le font d’autres médias. Le journal se tourne alors vers des conseils extérieurs incontestables, l’ONG Transparency International et Reporters sans Frontières. La réponse est unanime : si le forum est l’occasion d’une expression pluraliste, si l’opposition s’y exprime autant que le gouvernement, si la société civile est associée, il vaut mieux y aller que s’abstenir. Le continent est en évolution, dans plusieurs pays, les régimes en place tendent à s’ouvrir, la démocratie s’installe difficilement mais fait aussi des progrès indéniables et correspond à une aspiration populaire. C’est favoriser ce mouvement que de venir sur place tenir des débats ouverts, pluralistes, mêlant personnalités africaines et françaises (voir le programme du Forum de Libreville et les compte-rendus afférents).
Le forum a lieu les 9 et 10 octobre 2015, dans des conditions très satisfaisantes. Libération décide souverainement des thèmes abordés, les tables rondes sont toutes plurielles et les représentants du gouvernement sont des participants parmi d'autres, ni plus ni moins. La réunion, où l'entrée est libre, rencontre un succès populaire avec plus de mille participants. Les débats sont diffusés sur Internet et à travers les médias partenaires, tels Télé-Africa ou France 24. Libération publie un supplément où plusieurs intervenants, d'horizons divers, expriment leur point de vue. Au cours de la deuxième journée, une discussion très vive oppose de jeunes citoyens mécontents du régime aux représentants du gouvernement, comme il sied dans ce genre de réunion.
Telle est la genèse d'un projet dont la rédaction de Libération avait fixé le cadre avec rigueur.
Là où le caractère libre et contradictoire du Forum ne souffre d'aucune contestation, le montant de la facturation liée peut surprendre, même si il est comparable au montant d'autres opérations de même nature réalisées par des structures françaises. Le management, qui négocie habituellement les contrats de partenariat, et préoccupé par la situation financière difficile de la société, décidera de répartir les recettes entre le journal et la structure actionnaire de Libération à l'époque. Décision contestable certes, mais nécessaire : elle a été prise dans l'intérêt économique d'un journal en restructuration dont beaucoup disaient qu'il aurait du mal à surmonter sa crise interne, sociale et financière.
Ainsi, le contrat passé avec l’agence gabonaise qui finance le forum donne lieu à un versement de 3,45 M€, nettement supérieur à ce que perçoit directement Libération : 15% de la somme seulement, soient 450 k€ (somme qui, en accord avec la Société des journalistes et personnels de Libération, a fait réaliser au journal un profit minime). Les 3 M € restants ont eux été reçus par la société-mère de Libération à l’époque, PMP.
À lire aussi Communiqué de la rédaction de Libération
Cette affaire vieille de quatre années a fait surface récemment : les mouvements de fonds entre le Gabon et la France sont surveillés par les autorités françaises. Une enquête préliminaire a ainsi été ouverte au sein du parquet financier de Paris, à laquelle la direction du journal et son actionnaire ont évidemment coopéré. Le groupe a immédiatement diligenté une enquête interne, qui a par ailleurs mis au jour une commission de 450 000 euros (prélevée sur les 3 millions d'euros) reversée à un intermédiaire et des intérêts personnels d'un manager de l'époque avec les milieux d'affaires gabonais, deux faits qui n'étaient connus en rien chez Libération. En revanche, aucune irrégularité n'a été constatée dans les flux financiers dont Libération et sa holding ont bénéficié et ont servi à combler le déficit du journal.
Au vu de l'évolution ultérieure du régime gabonais, la direction de Libération a décidé dès 2015 de ne pas rééditer l'expérience, ce que notre nouvel actionnaire a aussi proscrit de son côté. Depuis, les forums Libé ont eu lieu en France, de manière à éviter toute polémique. Par ailleurs, Libération a évidemment depuis cette opération poursuivi sa critique rigoureuse du déficit de démocratie en cours au Gabon et plus généralement des dérives tournant autour des biens mal acquis.
Voilà, dans leur vérité simple, les faits qui sont en lien avec l’enquête préliminaire à laquelle nous coopérons.