Philippe Bilger. «Le bon sens ne nous invite pas à laisser un auteur se réfugier dans l'ombre de ses personnages, à l'abri de la fiction, pour vitupérer des êtres réels qui peuvent se sentir directement offensés en dépit de l'indirect de la narration. Ce serait comme une supercherie, un procédé indélicat. Mais refuser cette démarche, n'est-ce pas au fond méconnaître, qu'on aime ou non le roman, la spécificité de la littérature et du langage, qui n'informe pas mais représente ? Lorsque l'instance avait été engagée, j'avais déjà, en tant que citoyen, tenté de rassembler sur ce débat ce qui pouvait favoriser l'auteur ou satisfaire le plaignant. [.] Force était d'admettre - et encore plus aujourd'hui - que l'imaginaire modifiait la nature de l'insulte brute proférée par un personnage. Celle-ci devenait l'émanation de celui qui s'exprimait, pour l'incarner en quelque sorte. Même appliquée à un responsable politique existant, elle ne relevait plus, à mon sens, de la diffamation, qui aurait exigé un lien sans détour entre Mathieu Lindon et Le Pen alors que, précisément, les mots incriminés perdaient, par la grâce de cette littérature même engagée, l'intensité offensante du slogan pour s'inscrire dans un espace intellectuel inventé dont ils n'étaient qu'une part infiniment modeste et pas forcément assumée par l'écrivain. Il n'est pas neutre que Mathieu Lindon ait emprunté les voies de l'imaginaire, même pour transmettre ce qu'il pensait par l'entremise d'une création de son esprit,
Roman condamné, juges divisés.
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par Karl LASKE
publié le 3 novembre 2007 à 1h16
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