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Libération

Une lettre à Gilles (juillet 1994).

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publié le 7 novembre 1995 à 10h33
(mis à jour le 7 novembre 1995 à 10h33)

Je voudrais résumer, aujourd'hui, le rapprochement que j'esquissais dans ma dernière lettre entre Heidegger et toi.

1) Une différence cruciale semble écarter la comparaison. Il n'y a chez toi aucun montage «historial» dans le genre «histoire de l'oubli de l'être», «déclin», etc. Comme tu le dis, tu n'es certes pas tourmenté par la «fin» de la philosophie. Tu captes l'énergie de ton époque, comme il faut le faire de toute autre. Tu aimes et penses le cinéma, le roman américain, les mouvements populaires singuliers, la peinture de Bacon... Le paysan de la Forêt noire ne t'impressionne pas. Tu es un homme des métropoles impériales, un homme de la puissance bestiale du capitalisme, un homme des soustractions invisibles, aussi, et des capillarités contemporaines les plus fines.

2) L'être n'est nullement chez toi une «question», et du reste tu ne voues d'aucune façon la philosophie au «questionner», pas plus qu'aux «débats», cette forme française et parlementaire du «questionner» allemand.

3) Ta généalogie philosophique personnelle (les stoïciens, Spinoza, Leibniz, Hume, un certain Kant, Nietzsche, Bergson...) est très différente de celle de Heidegger (les pré-socratiques, Aristote, un autre Leibniz, Schelling, un autre Nietzsche, Husserl...).

4) Cependant, trois points me frappent comme l'indication lointaine d'une résonance.

­ L'hostilité à Platon. Et, en un certain sens, pour la même raison que Heidegger: Platon, c'est la mise en place d'un régime de la Transcendance.

­ L'hostilité