La rencontre avec Beck remonte à quelques mois. A l'approche du printemps, un jour de froid, dans le bar sans caractère d'un petit hôtel de luxe parisien. Pour une heure de discussion calibrée, impersonnelle, on s'est assis de trois quarts face. Sans rien attendre. Le jeune Californien en Pataugas fait mine de s'ennuyer, parle d'une voix éteinte. C'est là qu'on se fait prendre: en quelques phrases, l'air de n'y pas toucher, Beck Hansen retourne son interlocuteur comme un gant. L'auteur de Loser, maigre comme un pendu d'été, ressemble peu au portrait qu'on s'en fait. Il n'est pas le branleur décrit ça et là, n'a rien de l'arrogant petit malin, petit futé, enfant gâté du «flower power» qui pétait les plombs, prenait son entourage de haut et restait claquemuré dans sa chambre d'hôtel lors des Transmusicales 94.
Il paraît posé, agréable, bavard, attentif et, ce matin-là, un peu chagrin. Son nouveau disque pour Geffen, Odelay, prêt depuis l'automne, est sans cesse retardé. Pour des raisons stratégiques, juridiques (1) et commerciales qui échappent à sa logique: «C'est un peu triste de faire de la musique aujourd'hui, râle-t-il. Les groupes restent trop longtemps sans enregistrer. On se fait piéger par l'emphase qui accompagne la sortie d'un disque, il y a comme une obligation de résultat. On attend, on tergiverse, on calcule, on fait campagne alors qu'on devrait sortir des disques tout le temps, multiplier les expérimentations, les expériences sans que ça prenne une telle importan