Un chant de gorge orientale dans le noir, puis une voix. «Je
m'appelle Sad. J'ai trente ans. En anglais, Sad veut dire triste. Je ne suis pas triste.» Lumière. Il ne s'appelle pas Sad, mais Ahmed ou Saadam, il a l'air plutôt triste. «J'aime bien parler. Je raconte. Je mens, dit-il, moi, j'ai ça dans le sang.» Un pur-sang arabe. Un sang de «sale porc» comme il traite son copain égyptien («on fait ça souvent de s'insulter, par plaisanterie») et comme ils disent et/ou pensent les autres, là, ces «hommes de quarante ans», assis sur des bancs publics sur lesquels Ahmed n'a jamais osé s'asseoir.
Il est seul dans son studio de Vienne, Autriche. Et il parle. Fort, dru. Il est clandestin mais pas ouvrier. Il était étudiant en philosophie, quand on le devine (il n'en dit rien) il a fui l'Irak de Saddam Hussein, mais il n'est pas pour autant réfugié politique.
C'est un émigré arabe tombé adolescent amoureux de la langue allemande à cause de la beauté du mot «Leica». C'est un sans-papiers basané qui a laissé un enfant aux yeux noirs quelque part, sa famille et un amour à Bassora, «port épouvantable». C'est un type qui cogne ses mots contre les quatre murs de son studio viennois, mange du porc («voilà ce que je voulais dire à propos d'Allah»), picole du Gin pour se soulager, et gagne sa vie en vendant des roses le soir dans les 52 restaurants qui longent son périple de douze kilomètres.
C'est donc un soir, avant de partir faire la tournée des roses; il parle, se vide. Se décharge. Elect