La file d'attente déborde du Castro, fait le coin de la 17e Rue et s'allonge encore sur une centaine de mètres. Tous ceux qui font le pied de grue ont déjà leur ticket. Cela fait belle lurette que la séance de Cocksucker Blues, film tourné par Robert Frank dans l'intimité des Rolling Stones pendant leur tournée américaine de 1972, est sold out, annoncée à guichets fermés. Dans la foule, il y a ceux qui sont là pour Frank lui-même, petit bonhomme de 73 ans que Kerouac a autrefois qualifié d'«artiste américain par excellence» à cause de ses sujets, en général les Américains ordinaires, et de la façon spontanée qu'il avait de les saisir. D'autres sont là pour les Rolling Stones. D'autres encore pour les deux. Tous savent en tout cas que cette projection sera un des sommets de l'hommage que le 41e Festival international du film de San Francisco rend au photographe devenu cinéaste.
Cocksucker Blues est devenu une rareté. Il paraît que, quand il l'avait vu en avant-première, Allen Ginsberg avait dit à son grand ami Frank: «C'est un foutu bon film, Robert, mais si on le montre en Amérique on sera expulsés.» Personne n'a été expulsé mais quand il a découvert ce long métrage noir et blanc, Mick Jagger a poursuivi Frank devant les tribunaux pour faire interdire le film. Il a partiellement réussi: un juge américain a décrété qu'il ne pourrait être présenté qu'en présence de son auteur, dans un but éducatif et pas plus d'une fois par an.
Cette histoire a de quoi allécher les spectateurs d