Il habitait Rome, au 8 via San Teodoro face au mont Palatin. Sa villa était un labyrinthe borgésien troué d’escaliers sans logique, conduisant à des pièces oubliées où des partitions inachevées prenaient la poussière sur des bureaux abandonnés. Sombres cabinets et vastes salons abritaient un capharnaüm de guéridons, bandes magnétiques, objets rapportés du Népal et autres sous-verre signés Dali.
Lévitation, dépression, pâtes" Nimbé d’un mystère qui fascinait sa cour, Giacinto Scelsi se réveillait vers 14 heures et méditait en secret jusqu’au soir où, abandonnant la vue des ruines du palais de Caligula, il paraissait à ses visiteurs venus entendre ses légendes, coiffé d’une tchoubetchéïka. Pas question de discuter musique. En revanche, l’homme était intarissable sur sa nuit passée dans l’armoire d’un palace parisien par peur d’occuper le même lit que Napoléon, ou encore sur sa lévitation devant une lamasserie népalaise, voire la façon dont il s’était guéri de sa dépression dans une clinique suisse, à taper toute la journée le même do sur un piano. Sa vie de comte d’Ayala Valva lui avait valu un mariage à Buckingham Palace et un tourbillon de mondanités à Capri et Cannes. Ses amis s’appelaient Tristan Tzara, Michaux, et Brancusi. Mais il fallait déguster les pâtes de sa servante Bruna jusqu’à deux heures du matin pour jouir de son aura, car Giacinto Scelsi n’était pas du genre à se confier à de vulgaires journalistes, ni à poser pour les photographes. Aujourd’hui encore, sa fami