Le dernier accord se dilue posément dans l'espace acoustique du
studio A de la célèbre tour Capitol de Vine Street, suspendu à la gestuelle du chef d'orchestre Alan Broadbent. Pendant une poignée de secondes, le silence se fait, pesant. Puis, spontanément, les trente membre de la section de cordes placée sous la direction de Murray Adler, se laissent aller, qui à applaudir, qui à agacer le bord de son pupitre avec son archet, qui même à esquisser un piétinement lourdaud mais non dénué d'entrain. L'évènement est historique dans le petit monde de l'enregistrement californien. Charlie Haden, cet ancien vocaliste de country adolescent, devenu pionnier de la contrebasse libertaire au contact d'Ornette Coleman le Texan, vient de pousser la chansonnette en public, pour la première fois depuis quarante-cinq ans. La chanson (traditionnelle) s'intitule Wayfaring Stranger et conte l'histoire d'un vagabond de retour au pays. Charlie Haden, concentré, mains crispées au fond des poches, l'a interprétée d'une voix fragile, parfois hésitante, «organique», pour reprendre une expression de l'ingénieur du son Jay Newman, qui n'est pas sans évoquer celle de son vieil ami Chet Baker.
En cabine, Charlie écoute la prise tandis que des âmes charitables lui proposent du thé chaud. «Pourrais-je avoir un peu de réverbération?» demande-t-il. La question fait sourire Ruth Cameron, son épouse, coproductrice du projet. «Tu l'as refusée à tout le monde» remarque-t-elle. «Peut-être», reprend Haden, «mais pe