Marseille envoyé spécial
Dans le ventre du paquebot bleu où siège, à Marseille, le département des Bouches-du-Rhône est accroché le portrait d'un jeune homme au large front et au nez pointu surmonté de lunettes rondes, perdu dans ses songes: Varian Fry. Quasiment inconnu des Français (1), cet Américain décédé dans l'oubli il y a trente-deux ans s'est pourtant illustré sous l'Occupation en organisant de Marseille le départ vers l'Amérique de centaines de victimes du nazisme. Chagall, Duchamp, Max Ernst, André Breton, Masson, Lévi-Strauss, Victor Serge, Lipschitz, Arthur Koestler, Heinrich Mann et tant d'autres lui doivent la vie.
Cinquante-cinq ans après leur publication aux Etats-Unis, ses mémoires sont traduits en français, plusieurs films et biographies sont en préparation, et le conseil général des Bouches-du-Rhône lui rend hommage par deux expositions et un colloque à la fois riche et émouvant (lire ci-contre).
«Comment choisir?» Varian Fry était «l'archange, celui qui ouvrait les portes»: l'ambassadeur de France, Stéphane Hessel, qui l'a côtoyé alors que lui-même cherchait le chemin de Londres, est l'un des premiers à témoigner. Sa froide apparence dissimulait une grande sensibilité, avec un «fond de mélancolie», mais ceux qui l'approchaient sentaient aussitôt combien il était tout entier à la passion de sa mission. Il ne se contentait pas de fournir des visas, vrais ou faux, mais allait chercher les persécutés dans les camps d'internement du Midi, et jusque dans les priso