Menu
Libération
Critique

Mikhailov et les damnés de l'Ukraine.

Article réservé aux abonnés
Le photographe exposé à Paris montre la déchéance de son pays, de 1968 à nos jours.
publié le 10 avril 1999 à 0h39
(mis à jour le 10 avril 1999 à 0h39)

Son père et sa mère étaient ingénieurs. Suivant le chemin tout tracé, Boris Mikhailov épousa la même profession, mais ne put s'en satisfaire longtemps. Aussi, au fil du temps, ajouta-t-il une deuxième corde, autrement plus sensible, à son arc: la photographie. Un peu pour gagner sa vie, beaucoup pour témoigner de ce qu'il voyait quotidiennement autour de lui, à Kharkov, deuxième ville d'Ukraine (après Kiev), 2,5 millions d'habitants, dont bon nombre de zombies. «Naguère, la situation était stable. L'armée contribuait énormément à l'économie locale, il y avait aussi des quantités d'usines, des instituts de recherche, une vie estudiantine très développée. Et puis, plus rien. Après la perestroïka, la classe moyenne s'est effondrée. Aujourd'hui, les gens vendent n'importe quoi sur des petits marchés. D'ailleurs, je ne saurais plus vraiment expliquer comment font la plupart pour s'en sortir.» La soixantaine alerte ­ cheveux noirs, moustache grisonnante, regard clair ­, Boris Mikhailov ne se fait pas prier pour fournir un contrepoint oral aux clichés qu'il expose en ce moment à Paris, au Centre national de la photographie. Ses mots affluent, dans un anglais de fortune, pour dire et redire ce qu'était sa ville (et, avec, son pays) des années 60 aux années 80, un havre un peu ubuesque d'équilibre artificiel, et ce qu'elle est devenue en l'espace d'une décennie, une sorte de pandémonium où l'autodérision tient ponctuellement lieu d'exutoire: «La situation actuelle est si triste que l