En 1977, le metteur en scène Bruno Boeglin demande à Bernard Marie Koltès de participer à un travail d'acteurs autour de l'américain J. D. Salinger, auteur de l'Attrape-Coeur. Ainsi naît Sallinger, de celui qui, encore élève de l'école du TNS, avait déjà à son actif des adaptations de Dostoïevski et de Gorki, ainsi que son premier et unique roman, la Fuite à cheval très loin dans la ville. Vite reniée par son auteur trop confuse, trop composite , Sallinger contient dans le désordre la totalité d'un monde d'autant plus énigmatique qu'il se dévide dans un phrasé d'une totale limpidité. Une syntaxe unique où rôdent des spectres familiers et sur laquelle le poète, mort du sida en 1989, ne cessera de revenir en l'affinant, jusqu'à son ultime Roberto Zucco.
Sallinger débute dans un cimetière, s'achève sur un champ de bataille. Et scrute entre-temps tous les replis et toutes les fulgurances de la solitude, où les seules rencontres s'en tiennent à la friction des corps. L'intrigue tourbillonne autour d'un thème simple: une plongée dans les entrailles d'une famille dévastée par la perte du fils prodigue, «grossier, très beau et très insupportable», le Rouquin, suicidé en Corée, et dont le fantôme vient hanter les vivants. Les vivants? Carole, «veuve du Rouquin, beaucoup de rouge à lèvres», Leslie, frère du Rouquin et comédien à la dérive, Ma, «la mère, regard dramatique et grand tablier», et Al, le père, «un chapeau, un sourire et un verre de whisky à la main». Dans cet espace tr