«La prochaine fois, tu iras à Auschwitz en stop!» Il fallait la sortir celle-là. On n’invente pas un truc pareil. Emmanuel Finkiel a dû l’entendre dans une dispute entre vieux juifs rescapés de l’apocalypse concentrationnaire, des proches, des amis, ces gens de rencontres qui l’intéressent, et que n’effraient plus de s’envoyer ce genre de vannes à la figure. Cette réplique cinglante est balancée par un monsieur à bout de nerfs que sa femme horripile pour rien; la scène se déroule dans un bus «touristique» en visite polonaise sur les lieux du camp de la mort, dans la première partie de Voyages. Elle est au diapason de tout le film, quelque chose qui pourrait bien rester en travers de la gorge et qui pourtant passe en force.
Perception intime. Cette manière excessive et excédée de couper la chique à l’émotion est évidemment le plus sûr moyen d’étrangler le spectateur dans ses sanglots, de lui enfoncer dans la gorge le poing serré de la compassion. Emmanuel Finkiel a une idée très sûre de ce qu’il peut y avoir de gluant dans tout un cinéma de la mémoire blessée, une conscience nette des écueils de la victimologie en image. C’est pourquoi, si Voyages a bien pour sujet le traumatisme génocidaire des juifs par les nazis, il entend le traiter non comme une affaire ancienne et en voie d’être archivée, mais sur le mode d’une perception intime et contemporaine, empruntant en les mélangeant, avec un sens absolu du risque et de la classe, les registres du mémorial, du mélo, du roa