Apparue en 1992, Mary J. Blige est peut-être l'artiste noire des
années 90. Ses deux premiers albums, What's the 411? et My Life, l'avaient propulsée à l'exact carrefour du hip-hop et de la soul, mais il fallut attendre 1997 pour qu'elle vende 4 millions de son bel album de ballades torturées, Share My World. Mary a trouvé sa force dans une aisance vocale proche de l'exagération et des textes racontant chacun un angle secret de son esprit névrosé. C'est une Chaka Khan contemporaine, pas toujours ajustée face à sa couronne trop lourde de «reine du hip-hop soul» que les chanteuses de sa génération lui jalousent. Mary J. Blige chante avec ses tripes comme Jennifer Lopez avec son nombril. Même sa chanson phare, Happy, revendiquant le droit au bonheur, ne peut convaincre qu'elle n'est pas cette diva à la complexité gênante.
Mary ne donne pas de bonnes interviews. Paralysée par une timidité déguisée en arrogance, elle considère sans doute que tout est dit dans ses albums où elle se révèle sans pudeur, parlant du dilemme amour-sexe ou des dangers de la célébrité. Quand elle parle, elle vous regarde comme si vous apparteniez à une espèce inapte à comprendre l'étendue de sa personnalité. C'est le paradoxe des artistes qui produisent des disques pour la communauté noire et sont interviewés par des journalistes blancs. Des magazines comme Vibe et Source parviennent à jeter une passerelle entre les lecteurs et la star; mais elle n'a pas l'aisance d'une Janet Jackson, qui se montre plus d