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Libération
Critique

Rosetta de choc

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Acharnée et poignante, la palme d’or 99 est un chef-d’oeuvre.
publié le 29 septembre 1999 à 0h54

Il faudrait pouvoir tout oublier. Oublier Cannes, les polémiques indignes, les malentendus. Il faudrait oser prétendre à une certaine virginité, s’affranchir des brouhahas et considérer Rosetta pour ce qu’il est: le plus beau et le plus grand film d’aujourd’hui, le fruit ultime et splendide d’une histoire du cinéma moderne à son apogée.

Parce qu'au fond, par-delà le vacarme et l'intimidation, c'est bien de cela qu'il s'agit: très logiquement ­ et fort moralement ­ les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, immergés dans la mine ingrate du réel, dans les tunnels enchevêtrés de la fiction à forte valeur sociale et documentaire, ont fini par atteindre les strates les plus pures du cinéma de l'engagement, ces couches carboniques toujours dangereuses et menaçantes mais qui sont aussi les seules où les cristaux se fossilisent parfois en diamant. Ils en ont extrait le leur: cette Rosetta, «prénom-titre» comme disent les frères, dont on peut parier sans risque qu'elle imprégnera durablement l'imaginaire du cinéma contemporain.

Entêtement. Car il faut tordre le cou à l’idée erronée selon laquelle Rosetta serait le deuxième film des cinéastes et que la Promesse était leur premier. Au contraire, voilà vingt ans que les frères Dardenne filment ensemble, d’abord du côté documentaire (le Chant du rossignol, sur la résistance antinazie en Wallonie, date de 1978), puis de la fiction (Je pense à vous, tourné en 1989). Entretemps, ils ont multiplié les enquêtes, les vidéos, les courts métr