«La chose la plus fragile au monde, c'est la beauté», dit Hitler à
Eva Braun, quand il lui dit au revoir, à la fin du film de Sokourov. «Mais qu'est-ce qui peut se mesurer à la force de la beauté?», ajoute-t-il. Moloch peut sembler un film fragile parce qu'il répond par la délicatesse à la monstruosité de son sujet. Il le traite sur le mode de l'intime et, se déplaçant sur ce terrain, défend somptueusement les couleurs de l'art.
Une journée de 1942, détachée de la guerre dont on entend la rumeur d'orage dans les rares plans d'extérieur. Deux repas, une chasse aux papillons, une séance de cinéma, une séance de travail, deux tête-à-tête amoureux. Sokourov a choisi le huis clos du nid d'aigle de Berchtesgaden . Le Führer et sa suite débarquent, rassemblent servantes et mitrons, réveillent le château dont Eva Braun est la princesse enfermée. Moloch (prix du scénario à Cannes) commence sur sa déambulation d'athlète nue, fine silhouette qui fait des pointes sur les remparts, perdue comme dans un paysage brumeux de Caspar David Friedrich.
Théâtre. «Pas de politique à table», et puis, «aujourd'hui, on se détend». Le secrétaire Martin Bormann est le maître de cérémonie, rond et ballot. Malheureusement pour lui, il pue. Goebbels, nabot qui arrive à l'épaule de sa femme, essaie de conserver la vedette en pérorant. Henry Picker prend des notes. Si le patron n'est pas là, ils font les guignols. De temps à autre, un SS passe la tête et s'efface, regagne les coulisses.
Nous sommes au théâtre