Une question. Pourquoi, lorsqu'on visite un lointain musée,
tombe-t-on systématiquement en arrêt devant un tableau de Daumier, qui happe l'attention par son originalité, son caractère hors normes? Et pourquoi, quand on voit réunis ces tableaux au Grand Palais, est-on tout aussi méthodiquement déçu? Pourquoi les perçoit-on, exposés ensemble, comme de véritables croûtes? La réponse est d'abord que Daumier n'est pas un peintre. Graveur, lithographe, caricaturiste, journaliste, certes. Mais l'invention d'un Daumier «artiste» date en fait de 1878, quelques mois avant sa mort, lorsque des amis charitables décident de louer la galerie Durand-Ruel pour y montrer 94 des peintures que Daumier, certes largement admiré pour ses caricatures, aspire à voir honorées. «Toutefois la qualité de la peinture est inégale et hésitante», écrit alors le critique Emile Bergerat. «Ce sont des esquisses, plus que des oeuvres achevées, qui sortent de son pinceau», note à son tour le critique Duranty. Ils n'avaient pas tort: peut-être Daumier a-t-il pratiqué ce qu'on appellerait aujourd'hui de la bad painting. Et si Daumier, en bon caricaturiste qu'il était, avait précisément «chargé», c'est-à-dire gauchi, subverti les règles en vigueur de la peinture? Telle est l'hypothèse qu'on aimerait soutenir. Il n'est en effet guère anodin que la «caricature» se développe au XIXe siècle, tant en France qu'en Angleterre. C'est-à-dire au siècle où la société bourgeoise est corsetée, comme la peinture ou l'art, ense