Envoyé spécial à Lausanne.
«Grand, long poème (il faut bien donner un nom aux choses!) mais non! pas un poème: une vision. Ce n'est pas moi qui l'ai achevé, c'est lui qui m'a achevée.» Lettre de Marina Tsvetaeva à Boris Pasternak du 14 février 1922, où celle qui avait «soif de toutes les routes à fois» dédie le Gars à l'auteur du Docteur Jivago. Sa première mouture en tout cas, puisque, exilée volontaire à Paris, elle revient en 1929, en français cette fois, sur ce Gars, vampire surgi d'un conte populaire russe. Un français magnifiquement heurté, percuté de consonances et d'assonances: «J'écris, disait-elle, comme j'entends, après je vérifie les vers à l'oreille.» C'est en mêlant ces deux versions, avec des acteurs et des chanteurs lyriques russes et français, qu'a travaillé le metteur en scène allemand Lukas Hemleb. Pour un spectacle déjouant, dans la lignée de son inspiratrice, tous codes et compromis et où, après avoir renoncé à appliquer ses grilles de compréhension, on cesse de toucher terre.
«C'est moi le couteau.» Un Steinway de concert à l'angle d'un plateau désert, où sont semés quelques meubles aux arêtes vives. Au fond, une toile géante et claire où s'inscrivent, non en blanc sur fond blanc mais dans des teintes délavées, des carrés et des rectangles à la Malévitch. Le pianiste (Mathieu Gonet) effleure ou cogne sur son clavier les notes délicatement brisées de Elena Katz-Chenin. Géante babouchka, la cantatrice Hélène Delavault donne à pleins poumons le la d'une