«Chaque homme est un abîme, on a le vertige quand on regarde au
fond.» Stéphane Braunschweig, 34 ans, en passe de prendre les commandes du Théâtre national de Strasbourg, a regardé. D'un oeil apparemment clinique sur un cas qui l'est tout autant, celui de Franz Woyzeck, tel que l'a examiné Georg Büchner, scientifique surdoué, révolutionnaire convaincu et dramaturge fulgurant, mort à 23 ans du typhus, en 1837. Laissé en chantier par son auteur, Woyzeck s'inspire directement du cas d'un barbier de Leipzig, consigné dans des rapports de police et des manuels de psychiatrie normative. L'individu, connu pour entendre des voix et déchiffrer dans le ciel des figures de feu, avait poignardé sa femme lors d'une crise de jalousie et fut, de ce fait, exécuté en place publique le 27 août 1824.
Ce texte d'une beauté sombre, laissé à l'état de brouillons successifs propices à une multiplicité de montages, la présence de thèmes indémodables (déchéance, manipulation, absence de structures, aliénation, perte de soi) ont fait de cette symphonie inachevée un classique du répertoire allemand et un exercice auquel se risquent régulièrement une palanquée de metteurs en scène. Rappel pour mémoire de quelques épisodes marquants: le Marie-Woyzeck de Matthias Langhoff en 1980, le Woyzeck-fragments forains de François Tanguy en 1990, et, plus récemment, le Woyzeck tout court, découpé en plans-séquences l'an passé par André Engels et le décorateur scénographe Nicky Riéti. La version de Braunschweig, cré