«Ma chère femme, je me suis décidé, aujourd'hui, vu l'état de nos finances, à acheter un poisson.» Banal jusqu'à l'absurde, cela pourrait être une réplique de la Cantatrice chauve ou bien d'un mélo du XIXe siècle. C'est, en fait, la première phrase la plus célèbre du théâtre de Brecht, qui ouvre Homme pour homme, oeuvre que son auteur considérait comme fondatrice de son «théâtre épique». Les trois premières pièces de Brecht (Baal, Tambours dans la nuit et Dans la jungle des villes) rompaient non seulement «avec le naturalisme et l'expressionnisme (mais) rejetaient plus généralement le théâtre illusionniste et ses effets d'identification» (1). Homme pour homme (1926) franchit un pas supplémentaire: par sa forme (parties chantées, tableaux rappelant l'opéra), elle annonce les grands classiques brechtiens, de l'Opéra de quat'sous à Mère courage. «A une construction linéaire, finalisée par le dénouement, et propre à engluer le spectateur dans l'émotion pour mieux l'envoûter, Brecht entend substituer une construction sinueuse, procédant par bonds, appelant l'attention critique du spectateur sur le déroulement.»
Digressions et apartés. En dépit des bonds et des méandres, il est possible de résumer assez simplement l'action d'Homme pour homme. Parti acheter son poisson, le pacifique Galy Gay, porteur dans une localité de l'empire des Indes britanniques, rencontre en chemin trois soldats qui viennent de piller une pagode et le convainquent d'endosser l'identité de Ji