C'est une espèce de Kant perché sur un fauteuil Voltaire, infirme
atrabilaire, emmitouflé dans un drap blanc. Ses pieds dépassent et son bonnet de nuit lui fait des oreilles de lapin. Il se plaint. De tout. De la fadeur des mets comme de la marche du monde tel qu'il va, et même s'il allait, on voit bien que ça n'irait pas quand même, il y aura toujours des courants d'air ou le pépiement horripilant des oiseaux.
Pièce miroir. Le Réformateur, conçu à son image par l'Autrichien Thomas Bernhard (1931-1989), ne compte que sur deux êtres pour prêter l'oreille à ses imprécations. Le premier est un poisson rouge étrangement silencieux, le second une petite femme, épouse-servante, qui semble avoir pris des leçons chez l'occupant du bocal, tant est grande sa résistance aux mitraillages de méchancetés. L'espace du plateau transcende l'art de vivre au profit des rigueurs de la théorie. L'Américain Nicky Riety, scénographe attitré d'André Engel, directeur du Centre dramatique de Savoie, a bâti sans aporie la demeure du philosophe, auteur émérite d'un imposant Traité de la réforme du monde et, à ce titre, sur le point d'être nommé docteur honoris causa de l'université de Francfort. Le décor à dominante grise, comme la matière du même nom, entrecroise les lignes de fuite. Aussi sinistre que vaste, meublé avec une éclatante sobriété, il chante du parquet au plafond l'éloge du concept pur. La seule concession au superflu, les tableaux sur les murs ont toutes qualités requises pour entrer dans