On voit un, puis deux, puis mille films" dont on ne garde tour à
tour qu'un flash vague. L'oubli remplace progressivement l'image, le film n'est au bout du tunnel qu'une petite fabrique à amnésie, une manufacture du regret. Aller voir un film, c'est parier sur la commotion, espérer le déraillement du continuum, attendre l'image qui le sauvera du trou noir. Une séquence seule suffira à inscrire le film dans notre souvenir. Et ces minutes réchappées n'ont pas de prix.
Simple parenthèse. Ainsi, les quinze premières minutes de License to Live dépassent, si l'on peut dire, l'entendement: l'image est si lointaine, si distante, qu'elle pourrait provenir d'une caméra de surveillance ou avoir été dirigée par un macchabée. L'enfilade de couloirs d'hosto baignant dans les néons froids et saturés d'effluves d'ammoniaque ne fait pas oublier l'urgence panique des infirmiers. Il y a une certaine ironie à apprécier d'aussi loin cet empressement de troupe autour d'un homme qui a dormi dix ans et dont l'heure du réveil vient de sonner comme un éclat de rire afterdeath. Kiyoshi Kurosawa vient de réussir son entrée en matière: lui qui n'a jamais filmé autre chose que des corps pris de vitesse vient en un tournemain (et en une chute angélique) de réanimer Yutaka l'absent, Yutaka l'atonique, l'adolescent qui, de 1985 à 1995, de 14 à 24 ans, a plongé dans le coma. En quinze minutes, nous avons doublement quitté le monde de l'amnésie pour celui de la vie enfin, la vie des morts" Il est difficile d