«Faire que le cinéma puisse encore être dégueulasse" Rien que de le dire, ça fait du bien.» Claire Denis, l'air songeur, les traits tirés, commence par là pour parler du film qu'elle est en train de tourner depuis début janvier un peu partout dans Paris, Trouble Every Day, un film non d'horreur mais «d'effroi», un film où «les corps irradient de quelque chose de mortel». On est au Raincy, dans la banlieue parisienne, une belle bâtisse XIXe siècle avec verrière de couleur dans un quartier résidentiel, sous la pluie. La maison a été louée au ministère de la Justice; il y a deux ans, elle servait de foyer d'accueil à de jeunes délinquants sortant de taule. La moitié du rez-de-chaussée a cramé, les murs sont couverts d'une lèpre noire. Le lieu est, comme on dit, en voie de réhabilitation, mais Claire Denis l'aime en l'état, cette ambiance de calamité qui n'est pas du cinéma. A l'étage, toute l'équipe s'active, on installe un court rail de travelling sur le palier. Béatrice Dalle, chair laiteuse en peignoir blanc, attend le début de la prise. La chambre alentour est jonchée de revues, le matelas au sol est sale et lacéré. Qu'est-ce qui se passe ici? L'actrice rigole: «Je ne sais pas, dès que j'arrive quelque part, faut que ça barde. J'ai passé la baraque à la tronçonneuse et maintenant j'attends le voisin, ma prochaine victime.» Les volets sont fermés, l'embrasure de la porte barrée de planches clouées. Béatrice Dalle joue Coré, une femme en proie à des pulsions sanguinaires, un
Reportage
Claire Denis en eau «Trouble»
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par Didier Péron
publié le 8 mars 2000 à 22h59
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