«Ma vie me regarde en bâillant comme une grande main de papier blanc
que je devrais couvrir de mon écriture, mais je suis incapable de former une seule lettre.» Que faire d'un être aux ambitions si abouliques? Un héros, s'est dit Georg Büchner, qui, décidément, ne voulait rien faire comme les autres et ne s'étonna pas outre mesure que, de ses trois pièces, la Mort de Danton, Woyzeck, Léonce et Léna, aucune ne fut jouée de son vivant. Vie brève, puisque le petit génie, scientifique littéraire, révolutionnaire et allemand, fut envoyé ad patres par le typhus à l'âge pas vraiment canonique de 24 ans, en 1837.
Rien de plus délicat que de monter Léonce et Léna. Ce qui se présente comme une comédie légère (un fils de roi doit, contre son gré, épouser une princesse, tout s'achève à la suite de quiproquos en happy end) semble, de prime abord, épouser tous les poncifs de l'époque. A ceci près que les personnages ne croient pas une seconde à leur rôle, qu'ils endossent avec un total manque de conviction.
Le monarque (Christian Drillaud) semble encombré d'un pouvoir dont il ne sait que faire, s'en remet à des conseillers (ici résumé à un seul, l'invraisemblable Etienne Oumedkane) dont les préceptes témoignent d'une parfaite maîtrise de l'évasif. Quant à Léonce, flanqué du valet Valério (Baptiste Roussillon) qui se targue d'un droit à la paresse qui seul sonne juste, ses convictions affirmées filent le vertige: «J'ose à peine étirer mes mains, de peur de me cogner partout, comme si j'étais