A l'origine, un fait divers sans lien apparent avec la sinistre
actualité du Chili d'alors: le 4 décembre 1974, dans une campagne désertique au nord du pays, on retrouve pendues à un rocher Justa, Luciana et Lucia Quispe Cardozo, trois soeurs célibataires, entourées de leurs chiens, pendus également, et de leurs chèvres égorgées. Un suicide collectif. A l'époque, Juan Radrigán, ex-ouvrier textile et syndicaliste, licencié après le coup d'Etat, survit en vendant des livres dans la rue. Frappé par cette histoire, il conserve les coupures de journaux. Quelques années plus tard, devenu auteur de théâtre semi-clandestin, il écrit las Brutas («les Idiotes»), une sorte d'hommage à ces trois femmes «mortes d'oubli». La pièce évoque les derniers temps de leur vie, dans un lieu si reculé qu'il n'a même pas de nom, à plusieurs jours de marche de l'agglomération la plus proche. C'est un texte dur, qui donne toute sa place au silence et au bruit du vent, un texte sur le dessèchement et sur l'abandon, sur la contagion du désert.
Venu au Chili il y a un an, Eric Lacascade, directeur du Centre dramatique national (CDN) de Caen, a été saisi par la vitalité et la précarité d'un théâtre toujours sous le choc des années Pinochet, à l'image du pays. Il a rencontré des acteurs, des metteurs en scène, des auteurs. Et s'est lancé dans une série d'échanges. D'où la création, ces jours-ci à Caen, d'une version en français de las Brutas, mise en scène par Rodrigo Perez, l'une des nouvelles figures de l