Crinière rebelle sur costume chic, à 57 ans à peine, U Roy fait
figure de dinosaure rasta. Il a, dit-on, inventé non seulement le «toast» jamaïcain, mais aussi le rap. Lorsqu'il s'empare du micro pour la première fois, fin 1964, sur le petit sound system de Doctor Dickie, à Jones Town en Jamaïque, il n'est déjà plus un gamin. Ses quelques prédécesseurs (Count Machuki, Lord Comic, King Stitt") se sont bornés à pousser des cris à la mode américaine. U Roy amène autre chose: le sens.
Deux ans après l'indépendance de la Jamaïque, en pleine répression antirasta, on ne pouvait plus se contenter de hurler, à l'instar des frères du nord, Get down, get down! («ça fait quatre siècles qu'on descend, raillait Big Youth, il serait plutôt temps qu'on remonte!»). U Roy se met donc à parler sur les instrumentaux. Inspiré par les Américains, bien sûr, mais pas n'importe lesquels, des chanteurs à l'accent jazzy, Louis Jordan ou «Louie Prima, c'est un Blanc, mais croyez-moi, il déménage!». U Roy fredonne Buena siera senorita, une chanson de Prima, et déjà c'est son style, ses accélérations brutales, ses retombées nasillardes. «Les Noirs américains, il y a des tas de choses qu'ils ne comprennent pas: qu'ils viennent d'Afrique, par exemple. Ils vous disent: "Je suis né en Amérique donc je suis américain, et, quant au rap, ils ne reconnaissent pas ce qu'il doit à la Jamaïque. S'ils disaient: "Le rap vient de Louis Jordan et Louie Prima, je dirais d'accord"»
Musique «consciente». «Voici donc U Roy