Haïti, 1991: l'investiture du père Jean-Bertrand Aristide pose un
vernis d'optimisme sur un Port-au-Prince encore noirci de «déchouquages» (1), et l'on se risque à parler art. Devant la maison de Mario Benjamin, une villa moderne du quartier de Delmas, le sculpteur Roc-Lor est penché sur une masse de béton qu'il façonne en reptile, de la taille d'un boeuf. Avec ses chaussures maculées de ciment et son dos puissant, Roc-Lor ressemble à ses sculptures" qui ne ressemblent à rien, sinon peut-être des gargouilles moyenâgeuses. Est-ce de l'art haïtien? Roc-Lor n'entre dans aucun cliché vaudouisant; et pourtant, une force obscure grouille dans les replis de son monstre. En marge du créneau «primitif» ou «vaudou», le sculpteur n'intéresse pas les expositions internationales de l'époque. Pas plus que les autres artistes de son groupe: Mario Benjamin, Ti-Pèlin, Simon Josué ou Nasson. En attendant une ouverture, ils se réunissent ici, dans le château hanté de Mario, et le maître de maison leur infuse sa curiosité. A l'ombre d'un porche, derrière la maison, Nasson sculpte un masque par saignées rapides, son burin laissant dans le bois de longues scarifications qu'il s'abstient de polir, comme si son art proscrivait la caresse. Drôle d'imaginaire, jubilatoire et repoussant. Mario Benjamin l'a découvert au Marché-en-fer (le marché d'art de Port-au-Prince) alors qu'il n'était pas encore reconnu.
Echanges. L'intérêt témoigné au sculpteur par l'enfant terrible de la scène «branchée» a eu un