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Libération
Critique

Emilfork le magnétique

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publié le 21 juin 2000 à 1h41

"Un espion qui aurait ma tête, on le découvrirait tout de suite", a souvent dit l'irremplaçable Daniel Emilfork. On a vu chez Fellini, ou sur les plateaux de Chéreau, sa tête d'oiseau ou de batracien aux yeux plissés: inoubliables, ces yeux, deux charbons ardents, pétillant d'une intelligence singulière. Un regard à la lumière d'éternité qu'il masque aujourd'hui d'inquiétantes lunettes noires. Sa maigreur de moine tibétain confine désormais au décharnement d'un rescapé des camps. L'homme à l'impeccable élégance (costume noir sur chemise blanche) dit qu'avec sa laideur il a toujours eu besoin de séduire. Cela a toujours été vrai, cela continue: cet échalas de 77 ans charme d'emblée; mieux: il fascine, vrai prince. Et sa voix, dès qu'elle s'élève, empreinte de toutes les couleurs mêlées d'un inénarrable accent de fils de juifs russes élevé au Chili, cette voix de polyglotte mesmérise les auditeurs-spectateurs.

Insolite. Le chemin d'Emilfork, entre cinéma et théâtre, a toujours sinué à des lisières où toute notion de catégorie s'amenuise. Mais le grand art a toujours été là, y compris récemment dans son apparition dans la Cité des enfants perdus, le film de Caro et Jeunet. On n'a jamais su classer cet artiste depuis plus de cinquante ans qu'il est arrivé en France. Grand sourcier, ou sorcier, de l'art dramatique. Comédien unique de naturel. Insolite survivant de mondes disparus et de légendes enfouies, Emilfork s'assied chaque jour en fin de journée sur une chaise simple, au fon