Dans le petit agenda de poche d'Elie Kagan, aujourd'hui conservé dans une boîte en carton à la bibliothèque de documentation et d'information contemporaine (BDIC), la page du 17 octobre 1961 ne porte pas d'inscription spéciale. A peine la trace d'un parcours parisien, en soirée, avec le mot «Neuilly». Un crayonnage elliptique, cachant des heures d'épouvante dont ses photos témoignèrent.
Ce jour-là, dans la capitale, 30 000 Algériens manifestent, à l'appel du FNL, contre le couvre-feu imposé par le préfet de police, Maurice Papon. A 19 h 30, les charges policières s'abattent, avec une violence sauvage: la ratonnade est lancée. Des hommes sont roués de coups, jetés dans la Seine du haut des ponts, tirés comme des lapins. Cette nuit de rafle se soldera par plus de 11 000 arrestations et un bilan sanglant soigneusement occulté. Kagan l'a suivie, photographiant à la barbe des flics, captant à la sauvette le spectacle des grappes d'hommes acculés, les bras en l'air, sous les matraques, dans les couloirs du métro Concorde; puis (après avoir, par sécurité, jeté sa pellicule sur un tas de gravats, où il la récupérera le lendemain), enfourchant son scooter vers le pont de Neuilly et Nanterre, saisissant encore des visions d'hommes parqués dans les bus, ou gisant à terre. Photos noirâtres, indistinctes, peu spectaculaires et cependant dramatiques d'un massacre assourdi, que seul publia, à l'époque, Témoignage chrétien.
«Engagé». Elie Kagan se voulait «reporter engagé», tout en affirmant