Vous avancez sous la pluie, arc-bouté; c'est désagréable. Excédé par ce gymkhana de crabe, vous vous redressez malgré tout, digne. Les gouttes ne vous atteignent plus. Tout maintenant s'ordonne en agencement gracieux. Pendant une fraction de seconde, vous ressemblez à l'un des adolescents de Virgin Suicides, un de ces gamins irradiants qui soumettent le monde au rythme de leur élégance. Un film vient de vous réapprendre à marcher dans la rue. C'est la première bonne nouvelle. Un film que la rumeur voudrait suspect, trop mode, presque blond... Beaucoup de fleurs et de bougies parfumées. Mais la rumeur oublie de dire combien les jeunes pousses de Virgin Suicides sont farouchement opposées à l'idée de faner, combien ces fleurs sont d'une beauté vénéneuse. Plus apothicaire du vide américain que véritable sorcière, Sofia Coppola a imaginé son film comme une sorte de pénicilline. La malade, c'est elle. Son mal: l'adolescence. Un film, ça pourrait donc être ça, aussi: un vaccin, un rappel, une riposte. Une fille de 30 ans, une survivante, s'adresse à l'Amérique la plus blanche, la plus croyante, la plus modèle, avec une frustration inquiétante, une fringale de revanche, un entêtement à rouvrir le tombeau des lucioles pour y compter les victimes. En quelque sorte, c'est comme si, en disant «Moteur», elle voyait le poison fleurir. Sade, embastillé, avait écrit cela une fois, dans une lettre à sa femme: «Vous m'avez fait former des fantômes qu'il faudra que je réalise.»
Un bruit sourd