Cela commence en prière douce et grave. La voix frissonnante chante une mélopée sinueuse et brûlée. Le saz, ce luth au long manche typique de la Turquie, la porte sensuellement, occupant les microsilences de ces improvisations sur le fil. Les cheveux noirs noués dans la nuque, replète comme la ménagère moyenne de Méditerranée, Sabbahat Akkiraz chante une épopée traversée de larmes et de sang, le Chant des douze imams, un standard médiéval de la musique mystique alévie.
Sabbahat Akkiraz appartient donc à la grande minorité religieuse de Turquie: les alévis, qui seraient plus de 20 millions, le quart de la population du pays. Aussi bien turcs que kurdes, ils pratiquent un islam paradoxal, souvent mal vu par les sunnites majoritaires. En 1993, 37 personnes, dont des musiciens reconnus, ont péri dans l'incendie d'un hôtel causé par des islamistes lors d'un rassemblement à la mémoire de Pir Sultan Abdal, le grand poète alévi du XVIe siècle.
Chamanisme. Les alévis ne suivent pas strictement les dogmes de l'islam; notamment la prière cinq fois par jour, et leurs dévotions rassemblent hommes, femmes et enfants sans oublier le raki, alcool turc. Leur croyance fait remonter l'islam au chamanisme hérité des lointaines origines d'Asie centrale.
Les ashiks, bardes mystiques chantant l'amour, racontent en milliers de vers poignants, sur des musiques dépouillées et lancinantes, tous les massacres et les guerres que les alévis ont livrées des siècles durant au pouvoir sunnite, sous le signe