De tous les chanteurs tirés de l'oubli grâce à Buena Vista Social Club, Manuel Licea, surnommé Puntillita, était l'un des moins vieux. Né dans le village de Yareyal, près d'Holguin, province d'Oriente, il débarquait à La Havane en 1945, à 18 ans. Il est vite repéré par le trompettiste et chef d'orchestre Julio Cueva, qui avait acquis une grande réputation dans le Paris des années 30 (il avait ouvert rue Fontaine, à Pigalle, un cabaret à son nom), avant d'être chassé d'Europe par la guerre. Dans l'orchestre de Julio Cueva, Manuel Licea traite d'égal à égal avec le chanteur vedette, Orlando Guerra «Cascarita» (1).
Improvisateur. Venu d'Oriente, comme la plupart des grands chanteurs cubains, Manuel Licea a le son dans le sang: il a le don d'improviser les refrains (montunos), le test qui révèle les vrais soneros (chanteurs de son). Son surnom date de cette époque: il s'était distingué avec la chanson El Son de la Puntillita (la chanson du canif, allusion coquine).
Les années 40 et 50 sont l'âge d'or de la musique cubaine. L'afflux de touristes à La Havane fait proliférer les hôtels, cabarets et casinos, chacun doté de son orchestre. Le travail ne manque pas pour les musiciens, même si dans la grande majorité ils touchent des cachets dérisoires. Puntillita loue ses services à plusieurs formations: la Sonora Matancera ou l'orchestre de Roberto Faz, le seul grand sonero blanc. A partir de 1959, la révolution de Fidel Castro transforme ce milieu bohème: les musiciens deviennent fonct