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Libération
Critique

Avec Tchekhov, le temps se tend.

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publié le 19 décembre 2000 à 8h14

Il y a tout juste cent ans, Anton Tchekhov, en voyage à Nice, mettait la dernière main aux Trois Soeurs, juste avant de rentrer à Moscou pour les répétitions au Théâtre d'Art et la première, le 31 janvier 1901. Ce centenaire n'aurait en lui-même pas grande signification s'il ne nous rappelait que la pièce a été composée au tournant du XXe siècle, et que cela explique sans doute pourquoi l'interrogation sur l'avenir et sur le passage du temps en général, sujet majeur de tout le théâtre de Tchekhov, y est particulièrement soulignée.

Angoisse et menace. Chez la plupart des personnages, c'est même une obsession. Olga, la soeur aînée, donne le ton dès la première réplique où il est question d'un double anniversaire: «Père est mort, il y a tout juste un an, aujourd'hui, le 5 mai, le jour de ta fête, Irina.» Olga est celle qui tient le décompte ­ «Nous avons quitté Moscou il y a onze ans», «Père nous a habituées à nous lever à sept heures», «Cela fait trente ans qu'elle est chez nous», «Cette nuit j'ai vieilli de dix ans», «Pendant deux ans, il n'a pas bu une goutte» ­, alors que les autres parlent plus volontiers au futur, entre rêve de retour à Moscou et prédictions des militaires en poste dans ce que Tchekhov nomme «un chef-lieu de province». Le lieutenant et baron Touzenbach parle de cette «tempête puissante et salubre [qui] se prépare. Elle arrive. Elle est déjà tout près de nous et elle balaiera de ce pays la paresse, l'indifférence, les préjugés contre le travail, la pourritu