Début janvier 2000, les salles de cinéma sont pleines, tout le monde, faute d'apocalypse digne de ce nom, veut voir Sixième Sens, c'est-à-dire la mort en face. Un enfant médiumnique, une star de film d'action légumisée, un rythme d'adagio tarkovskien, pas d'action, pas de bruit, pas d'humour, pas d'effet. Le flop programmé converti en méga-hit surprise sur l'air guilleret d'un Souvenir de la maison des morts à l'usage des masses en mal de deuil collectif. Derrière ce coup de poker métaphysique, un «Indien» inconnu, M. Night Shyamalan.
Moins d'un an plus tard, le prodige mystérieux est à Paris pour promouvoir son nouveau film Incassable (Unbreakable). On a devant soi un homme de 30 ans, plus juvénile encore que sur les photos qui avaient été diffusées de lui. Un type charmant et volubile, le visage constamment fendu de ce sourire radieux de golden-boy décontracté qui, du jour au lendemain, a vu sa cote partir en flèche, faisant peser sur la balance les 680 millions de dollars de recettes engrangées par Sixième Sens.
Sang-froid. Pour Incassable, Disney n'a même pas discuté et viré presto sur son compte en banque les 5 millions de dollars qu'il réclamait pour l'achat du scénario. N'importe qui d'autre, sans doute, serait devenu odieux et méprisant pour beaucoup moins que ça, mais Shyamalan est réputé pour sa gentillesse et son implacable sang-froid face à la pression des studios: «Je ne leur fais pas confiance. Là, ils m'adorent, vous êtes génial, bravo, mais demain je sais qu'il