Cofondateur de Jazzland, à 36 ans, le pianiste Bugge Wesseltoft est l'une des figures les plus emblématiques du «Oslo sound». Ce nouveau son venu du froid, à l'exemple du barbouzard neurasthénique jadis créé par John LeCarré. Ancien sideman du contrebassiste Arild Andersen et du saxophoniste Jan Garbarek, deux éminents représentants norvégiens du label (munichois) ECM, ce fils de guitariste de jazz, autodidacte des claviers («j'ai appris le piano parce que je n'ai jamais compris comment on se servait d'une guitare»), s'est d'abord distingué auprès de ses camarades collégiens, à 15 ans, en pogotant dans un groupe punk, avant de quitter le lycée de Skien, sa ville natale, pour tenter sa chance dans la capitale. «Je suis devenu professionnel par accident, reconnaît-il en souriant, puisque je me suis longtemps rêvé en ingénieur mécanicien.»
A Oslo, Bugge Wesseltoft a donc connu, pendant quatre ans, la précarité du musicien provincial fraîchement débarqué, multipliant les gigs ingrats (théâtre, télévision, dancing, cabarets), entre deux intérims alimentaires. A l'époque (1985), la cote de popularité du jazz est à son plus bas niveau. Des huit clubs qui fonctionnaient à plein temps en 1981, il n'en reste qu'un à n'avoir pas baissé rideau. Pour subsister, Bugge sévit donc volontiers dans le rhythm'n' blues, musique que son père lui a appris à apprécier, tout en approfondissant ses connaissances en histoire du jazz («parti de Billy Cobham et de Weather Report, j'ai remonté doucement