Jacques Laurent fumait des Royales, beaucoup, buvait du whisky chez Lip, beaucoup, dans des verres ballons, à gauche en entrant, le seul endroit où il se tint à gauche, on le prenait pour un hussard, il ne dépassa jamais le grade de caporal, il pestait contre l'Académie française, et finit par s'y rendre. Il aimait mentir et aimait se faire prendre, il en fit un livre (Du mensonge, 1994, Plon). Il admirait Stendhal, il proposa même une fin possible, vraisemblable, un rien coquine, pour Lamiel, le roman inachevé du seul maître qu'il se reconnaissait (la Fin de Lamiel, Julliard, 1966). Il gagna beaucoup d'argent, il était souvent fauché. Il aimait les femmes, le fit savoir, quelques-unes en souffrirent, lui aussi. Il écrivit une Histoire des dessous féminins. Dans son premier roman, les Corps tranquilles (1948), Jacques Laurent notait que les hommes n'ont pas «un curriculum vitae, mais plusieurs, aussi vrais les uns que les autres», et il ne s'en priva pas, abusa de tous les métiers de plume et des pseudonymes, Cécil Saint-Laurent, qui le nourrit avec les royalties de Caroline chérie, Albéris Varenne ou Gonzague de Port-Royal. Il aurait eu 82 ans la semaine prochaine, il est mort hier à Paris.
Il y était né le 5 janvier 1919, sur la rive droite, qu'il détestait, comme il détesta son enfance, comme il détesta le lycée Condorcet, et le jour où il se décide à écrire à Gide, qui ne répondra pas, c'est pour lui signaler une erreur dans l'un de ses livres. Il raconte qu'il s'engagea