«Nous avons trente ans. Nous croisons parfois quelques gamins qui nous disent: "De ton temps"... Nous sommes devenus sans nous en rendre compte les aînés de la Génération morale. Nous faisons l'amour en pensant à la mort et nous sommes inquiets de la paix... Nous sommes Fabrice à Austerlitz: nous ne voyons rien des batailles et des réalités du monde. Nous sommes amusés de notre propre nostalgie... Nous marchons paisiblement dans la peur et la beauté des catastrophes ou des utopies les plus terribles. Nous ne sommes faits que des souvenirs qu'on nous inculqua. Nous ne som mes pas des références. Et comble d'injustice, les jeunes gens d'aujourd'hui sont plus beaux que nous ne l'étions.»
Jean-Luc Lagarce écrivait ces lignes en 1987: il était né à la toute fin de la quatrième République, avant «le nouveau franc», pas loin de la crise de Suez, en pleine guerre d'Algérie. Avoir trente ans en 1987, c'était appartenir, déjà, à un antan. Le mur de Berlin tenait encore debout. Cette saison-là le comédien, metteur en scène, directeur de troupe et surtout l'auteur Jean- Luc Lagarce apprit qu'il avait contracté le sida; il commença de se battre, maintint à distance la mort, huit années durant: en continuant à exercer, de front, ses quatre métiers à la fois.
Maison d'édition à Belfort. Le texte ci-dessus lui était venu comme exergue à un collage d'extraits où, puisant chez le cinéaste Jean Eustache et les écrivains Flaubert, Strindberg, Perec ou encore Mac Orlan ou Dostoïevski, il avait mis